Métaphysique et langage
Montaigne dans le tome I des Essais, chapitre XXVI dit toute la difficulté que pose le langage par rapport au réel. Il explique à la fois que le langage ne compte pas et que pourtant il n'y a rien qui compte davantage. Ces thèses semblent contradictoires. Mais elles doivent peut-être être retenues toutes les deux parce que leur tension définit le cadre dans lequel inscrire une réflexion sur le langage et sur les limites du langage. Montaigne prend pour exemple deux architectes devant soumettre leur projet aux Athéniens afin d'être départagés :
Le premier se présenta avec un beau discours prémédité, apprêté. Il explique aux Athéniens tout ce qu'il compte faire et les avantages qu'ils tireront de son travail.
Le second a un discours qui tient en trois mots : « Seigneurs Athéniens, ce que celui-ci a dit, je le ferais.».
Qui préférer? Celui qui parle bien, dont les discours dissimulent peut-être une incompétence technique ou bien faut-il choisir le second qui sait que l'important est peut-être dans ce qu'on fait plus que dans ce qu'on dit et qui s'engage à mener à bien le projet qu'il représente?
La préférence de Montaigne est claire, il nous dit « Je veux que les choses surmontent et qu'elles remplissent de telle façon l'imagination de celui qui écoute qu'il n'ait aucune souvenance des mots ». Ainsi Montaigne laisse penser que son langage remplit pleinement sa fonction lorsqu'il se fait oublier. Il ne conclut pas exactement que le langage n'a pas d'importance. Bien au contraire, on sait à quel point Montaigne critique le mensonge et le considère comme un vice impardonnable. Au tome II, chapitre 18, il explique en effet que le mentir est « maudit vice », il ajoute de façon très kantienne « Si le langage nous trompe, il rompt tout notre commerce et dissout toutes les liaisons de notre police ». Il veut dire que les rapports entre les hommes sont fondés sur une exigence de véracité. Il a aussi développé l'idée que l'on trouve au livre III