Monsieur de Cleves y vint comme à l’ordinaire ; il estoit si remply de l’esprit et de la beauté de Mademoiselle de [ 48 ]tresChartres, qu’il ne pouvoit parler d’autre chose. Il conta tout haut son avanture, et ne pouvoit se lasser de donner des loüanges à cette personne qu’il avoit veuë, qu’il ne connoissoit point. Madame luy dit, qu’il n’y avoit point de personnes comme celle qu’il dépeignoit, et que s’il y en avoit quelqu’une, elle seroit connüe de tout le monde. Madame de Dampierre, qui estoit sa Dame d’honneur, et amie de Madame de Chartres, [ 49 ]entendant cette conversation, s’approcha de cette Princesse, et luy dit tout bas, que c’estoit sans doute Mademoiselle de Chartres que Monsieur de Cleves avoit veuë. Madame se retourna vers luy, et luy dit que s’il vouloit revenir chez elle le lendemain, elle luy feroit voir cette beauté dont il estoit si touché. Mademoiselle de Chartres parut en effet le jour suivant : elle fut receuë des Reines avec tous les agréements qu’on [ 50 ]peut s’imaginer, et avec une telle admiration de tout le monde, qu’elle n’entendoit autour d’elle que des loüanges. Elle les recevoit avec une modestie si noble, qu’il ne sembloit pas qu’elle les entendist, ou du moins qu’elle en fust touchée. Elle alla en suitte chez Madame sœur du Roy. Cette Princesse aprés avoir loüé sa beauté, luy conta l’étonnement qu’elle avoit donné à Monsieur de Cleves. Ce Prince entra un [ 51 ]mentmoment aprés : Venez, luy dit‐elle, voyez si je ne vous tiens pas ma parole, et si en vous montrant Mademoiselle de Chartres, je ne vous fais pas voir cette beauté que vous cherchiez : remerciez‐moy au moins de luy avoir appris l’admiration que vous aviez déja pour elle.
Monsieur de Cleves sentit de la joye, de voir que cette personne qu’il avoit trouvée si aimable, estoit d’une qualité proportionnée à sa beauté : [ 52 ]Il s’approcha d’elle, et il la supplia de se souvenir qu’il avoit esté le premier à l’admirer, et que sans la connoître, il avoit eû pour elle tous les