L'œuvre littéraire est un véritable miracle. Elle existe, elle vit et nous influence, elle enrichit notre vie de manière extraordinaire, elle nous vaut des heures d'émerveillement et de descente dans les profondeurs abyssales de l'être, et pourtant ce n'est qu'une formation ontologiquement hétéronome qui, au sens de l'être autonome, est pareille au néant. Si nous voulons la saisir de manière théorique, elle présente une complexité et une variété d'aspects qu'on a de la peine à embrasser ; et pourtant dans le vécu esthétique elle présente une unité qui ne laisse que transparaître cette complexité structurelle. Son être ontologiquement hétéronome paraît totalement passif et semble subir sans défense toutes nos manipulations ; et pourtant, par ses concrétisations, elle provoque de profonds changements dans notre vie ; elle l'élargit pour l'élever au-dessus des platitudes du quotidien et lui prête un éclat divin – un « néant » – et tout de même un monde à part, merveilleux, bien qu'il naisse et soit à la faveur de notre bon vouloir (p. 316)[1].
Ce même lecteur, une fois surmonté sa surprise devant cet épanchement soudain, ne peut non plus manquer d'y reconnaître la formulation la plus accomplie de ce qui fait « tenir » de bout en bout L'Œuvre d'art littéraire : une interrogation sur la nature de l'objet qu'est une œuvre littéraire. Quelle sorte d'objet faut-il qu'elle soit pour qu'à la fois son existence semble dépendre d'un principe extérieur, et qu'elle affecte son lecteur à la façon d'un objet ayant son principe d'existence en lui-même ? Cette question, qu'en termes philosophiques on appellera ontologique, est le fil directeur de L'Œuvre d'art littéraire. L'exposé qui suit s'efforcera d'en montrer la fécondité pour l'appréhension de l'œuvre et du fait littéraires. Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire, afin d'en mieux cerner les enjeux, de situer L'Œuvre d'art littéraire dans l'ensemble de l'œuvre d'Ingarden[2].
De l'ontologie à la