Mankell Henning Le guerrier solitaire
Le Guerrier solitaire
Seuil
Pour Jon
C’est en vain que je cherche à faire plier, à entailler ces barreaux à l’implacable rigidité — ils ne ploieront pas, ils ne céderont pas car c’est en moi que ces barreaux sont scellés et ce n’est que quand je me briserai que se briseront les barreaux.
EXTRAIT D’UNGHAZAL, DE GUSTAF
FrÖding.
République dominicaine
1978
Prologue
Peu avant l’aube, Pedro Santana fut réveillé par la lampe à pétrole qui fumait.
Il ouvrit les yeux avec la sensation de ne pas savoir où il se trouvait. Il avait été arraché à un rêve dont il ne voulait pas perdre le fil. Il parcourait un étrange paysage montagneux, où l’air était très léger, et il lui semblait que tous ses souvenirs l’abandonnaient. La lampe à pétrole qui fumait s’était immiscée, dans sa conscience comme une lointaine odeur de cendre volcanique. Mais il avait soudain entendu un halètement de souffrance. Et son rêve s’était brisé, le contraignant à revenir dans la pièce sombre où il venait de passer six jours et six nuits sans jamais dormir plus de quelques minutes d’affilée.
La lampe à pétrole venait de s’éteindre. Autour de lui, tout n’était qu’obscurité. Il resta assis sans bouger. La nuit était très chaude. La sueur collait à sa chemise. Il s’aperçut qu’il sentait mauvais. Cela faisait longtemps qu’il n’avait plus la force de se laver.
Il entendit à nouveau le halètement. Il se leva avec précaution et avança à tâtons sur le sol de terre battue pour chercher le bidon de pétrole à côté de la porte. En progressant dans le noir, il remarqua qu’il avait dû pleuvoir pendant son sommeil. Le sol était humide sous ses pieds. Il entendit un coq chanter dans le lointain. Il savait que c’était le coq de Ramirez. Dans le village, il était toujours le premier à chanter, avant l’aube. Ce coq était comme un humain impatient. Comme ceux de la ville, qui ont toujours l’air