Marivaux- le jeu de l'amour et du hasard
Lisette, Arlequin
Arlequin. Madame, il dit que je ne m’impatiente pas ; il en parle bien à son aise le bonhomme.
Lisette. J’ai de la peine à croire qu’il vous en coûte tant d’attendre, Monsieur, c’est par galanterie que vous faites l’impatient, à peine êtes-vous arrivé ! Votre amour ne saurait être bien fort, ce n’est tout au plus qu’un amour naissant.
Arlequin. Vous vous trompez, prodige de nos jours, un amour de votre façon ne reste pas longtemps au berceau ; votre premier coup d’ il a fait naître le mien, le second lui a donné des forces, et le troisième l’a rendu grand garçon ; tâchons de l’établir au plus vite, ayez soin de lui puisque vous êtes sa mère.
Lisette. Trouvez-vous qu’on le maltraite, est-il si abandonné ?
Arlequin. En attendant qu’il soit pourvu, donnez-lui seulement votre belle main blanche pour l’amuser un peu. Lisette. Tenez donc petit importun, puisqu’on ne saurait avoir la paix qu’en vous amusant.
Arlequin, lui baisant la main. Cher joujou de mon âme ! Cela me réjouit comme du vin délicieux, quel dommage, de n’en avoir que roquille !
Lisette. Allons, arrêtez-vous, vous êtes trop avide.
Arlequin. Je ne demande qu’à me soutenir en attendant que je vive.
Lisette. Ne faut-il pas avoir de la raison ?
Arlequin. De la raison ! Hélas je l’ai perdue, vos beaux yeux sont les filous qui me l’ont volée.
Lisette. Mais est-il possible, que vous m’aimiez tant ? Je ne saurais me le persuader.
Arlequin. Je ne me soucie pas de ce qui est possible, moi ; mais je vous aime comme un perdu, et vous verrez bien dans votre miroir que cela est juste.
Lisette. Mon miroir ne servirait qu’à me rendre plus incrédule.
Arlequin. Ah ! Mignonne, adorable, votre humilité ne serait donc qu’une hypocrite !
Lisette.
Quelqu’un vient à nous ; c’est votre valet.
Scène V
Arlequin, Lisette
Arlequin. Ah ! Madame, sans lui j’allais vous dire de belles choses, et je n’en trouverai plus que de communes à cette heure, hormis mon amour qui est