Dans le récit de la grève qui sert de charpente au roman de libération de Sembène, la multitude de personnalités distinctes va à l'encontre de la notion coloniale de tribu, soit la horde motivée par des rituels mais dépourvue d'aspirations individuelles. Hommes, femmes et enfants ont un rôle déterminant pour faire aboutir la grève. A cet effet, le romancier érige une œuvre architecturale soutenue par une formidable symétrie des incidents et des fonctions de chacun au sein des groupes. Ainsi, les tragédies se font écho d'un camp à l'autre. Au plus fort de la grève, le contremaître Isnard, surpris par des adolescents en vadrouille, tue deux enfants sur le coup et blesse Gorgui qui décèdera plus tard : c'est à ce prix que la Régie du Dakar-Niger ouvre les négociations. Au terme de la grève, Béatrice, l'épouse d'Isnard est tuée d'une balle perdue, pour compenser peut-être, en un double sacrifice égalitaire, la mort de Penda, la dirigeante des marcheuses de Thiès à Dakar. De nombreux chercheurs traitent des femmes du fait que les épouses des grévistes sont mieux pourvues en singularité que leurs hommes. Toutefois, une classification rapide des hommes montrera que des dirigeants potentiels se profilent dans les trois lieux de la grève et préfigurent un univers africain structuré qui se substituera au contrôle colonial. Le réseau des chefs de la future nation Tous les grévistes s'en remettent à un chef moral, du nom de Bakayoko, que Wole Soyinka voit comme " une création prométhéenne ", conçue pour dérober le pouvoir de " l'autre divinité, la super réalité coloniale " (Soyinka, 117). Sembène définit cet émissaire des roulants comme la sève et l'âme de la grève tandis que Lahbib, le comptable, en est le cerveau (290-1). Bakayoko, le Bambara qui maintient l'unité des grévistes en faisant ses discours en quatre langues, exerce son ascendant sur tous, bien qu'il ne fasse son entrée de plain-pied que vers le dernier quart du roman, pour négocier