Maupassant
Les hauts et les bas: la conquête de l'espace dans Bel-Ami de Maupassant
par
Claudine Giacchetti
L'espace dans l'œuvre de Maupassant est un thème structural qui est étroitement lié au désir de la conquête et de la possession, à la hantise de la perte et de la spoliation. Ces deux forces affectives se conjuguent dans de nombreuses combinatoires spatiales qui déterminent la dynamique de l'imaginaire maupassantien. Mon propos est d'examiner, dans le roman Bel-Ami, la relation entre la stratification des lieux et les comportements des personnages. De façon plus générale, j'envisage d'aborder la spatialité romanesque dans la définition qu'en donne Henri Mitterand: «Une forme qui gouverne, par sa structure propre et par les relations qu'elle engendre, le fonctionnement diégétique et symbolique du récit.»1
C'est en termes d'ascension, de «varappe», comme dit J. L. Bory dans sa préface à l'édition Folio de Bel-Ami,2 que se comprend le fulgurant triomphe de Georges Duroy. Cette montée incessante, cette verticalité posturale, sont entièrement inscrites dans un espace à conquérir. La disposition topographique n'est plus celle du roman Une Vie, où les lieux sont d'emblée étalés devant nous, dans le bon voisinage des propriétés, dans l'horizontalité du plat pays normand. Ici, c'est un espace en pointe, stratifié et restreint, étroit d'accès, et toujours pourvu d'un escalier qui n'est quasiment jamais prévu pour la descente. C'est par accaparement successif du dispositif topographique que Bel-Ami parvient au sommet de l'échelle sociale, et c'est en termes de variation d'altitude que se comprennent les rapports que le héros entretient avec son entourage.
Or, le paradoxe de Bel-Ami, au-delà de celui qui consiste, comme Bory ironise, à monter haut et à voler bas, est qu'en plein envol, il y a souvent déperdition d'altitude, piétinement intempestif de la force motrice qui révè-
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