Mauriac, le romancier et ses personnages
L’HUMILITÉ n'est pas la Vertu dominante des romanciers. Ils ne craignent pas de prétendre au titre de créateurs. Des créateurs ! les émules de Dieu !
A la vérité, ils en sont les singes.
Les personnages qu'ils inventent ne sont nullement créés, si la création consiste à faire quelque chose de rien. Nos prétendues créatures sont formées d'éléments pris au réel; nous combinons, avec plus ou moins d'adresse, ce que nous fournissent l'observation des autres hommes et la connaissance que nous avons de nous-mêmes. Les héros de romans naissent du mariage que le romancier contracte avec la réalité.
Dans les fruits de cette union, il est périlleux de prétendre délimiter ce qui appartient en propre à l'écrivain, ce qu'il y retrouve de lui-même et ce que l'extérieur lui a fourni.
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Je souhaiterais que ces lignes inspirassent à l'égard du roman et des romanciers un sentiment complexe, - complexe comme la vie même que c'est notre métier de peindre. Ces pauvres gens dont je suis méritent quelque pitié et peut-être un peu d'admiration, pour oser poursuivre une tâche aussi folle que de fixer, d'immobiliser dans leurs livres le mouvement et la durée, que de cerner d'un contour précis nos sentiments et nos passions, alors qu'en réalité nos sentiments sont incertains et que nos passions évoluent sans cesse. C'est aussi qu'en dépit de la leçon de Proust nous nous obstinons à parler de l'amour comme d'un absolu, alors qu'en réalité les personnes que nous aimons le plus nous sont, à chaque instant, profondément indifférentes et qu'en revanche, et malgré les lois inéluctables de l'oubli, aucun amour ne finit jamais tout à fait en nous.
De l'homme ondoyant et divers de Montaigne, nous faisons une créature bien construite, que nous démontons pièce par pièce. Nos personnages raisonnent, ont des idées claires et distinctes, font exactement ce qu'ils veulent faire et