mes documents
Actes Sud, Arles, 2008, 591 p.
En 1665, lors d’une ambassade à Tunis, un diplomate français, le chevalier d’Arvieux, ne daigne répondre qu’en turc à un dignitaire ottoman qui lui souhaite la bienvenue en langue franque. Cinq ans plus tard, en 1670, participant à la composition du Bourgeois gentilhomme, le même chevalier se plaît cette fois à conseiller Molière et Lully sur des strophes de la pièce transcrites en lingua franca. Position dissymétrique à l’égard de cette langue dans un premier temps puis expertise, réappropriation, voire travestissement de ce parler … Prise sous différents angles, chacune de ces situations peut illustrer la thèse centrale qui charpente cette longue histoire de la lingua franca dans la
Méditerranée moderne : le franco, composé de « versions simplifiées et sans désinences » de langues avant tout latines ou romanes, n’était pas « une langue consensuelle » ; bien au contraire, c’était une langue « de l’altérité à vif », un « no man’s langue » de la communication. Cette langue franque ne constituait pas un « terrain d’entente » où l’on pouvait « parler ensemble ». C’était davantage un « lieu neutre » emprunté au terme « d’un chemin vers l’autre où l’on s’arrête à mi-distance ».
Révision complète de nos conceptions sur ce qu’il y peut y avoir de commun dans une langue, la démonstration menée par J. Dakhlia nous invite à repenser l’échange et le continuum dans l’histoire de la Méditerranée moderne, les relations entre métissage et perpétuation des différences, et plus largement encore, l’articulation entre langue et culture.
Montrer que la lingua franca fut à la fois pratiquée par des Européens qui la percevaient comme une langue corrompue et par des Musulmans qui n’y voyaient pas « une marque d’allégeance à l’Europe » permet de dépasser deux anciennes approches de l’histoire méditerranéenne. D’une part, cela rompt avec des écritures