Mia et elle
Non, la femme qui verse le lait s'appelle Mia et cette Mia qui, au siècle suivant, deviendra un symbole des Pays-Bas, était destinée à une vie humble et anonyme.
Mes parents avaient une ferme aux environs de Leiden et après une éducation sommaire qui me permit quand même de lire et d'écrire, je suis entrée à quatorze ans dans l'atelier d'un tisserand de la ville. Je logeais chez une tante, veuve et solitaire. Au milieu des étudiants joyeux, je rêvais de ma campagne. Quand Marten me demanda en mariage, je quittai sans regret Leiden pour m'installer où vous me voyez, chez ma belle-mère, dans la plaine près de Delft. J'ai vite repris les habitudes de mon enfance: levée à l'aube, je m'occupais des bêtes - nourriture et première traite -, je remplissais les jarres et les caisses pour le bac qui emmenait nos produits au marché de la ville. Puis, je cuisais le pain et après une toilette rapide, je préparais le premier repas de la famille. La seule chose qui changeait, c'est qu'au lieu de nourrir mes frères et mes soeurs, je réveillais mes propres enfants. J'en ai eu six; après, mon corps s'est mis en jachère, épuisé par ces maternités rapprochées. Mais l'ensemencement avait donné des fruits vigoureux dont j'ai toujours été fière. Mes enfants robustes ont travaillé tôt aux champs, là où les moulins remplacent les tavernes, entre les dunes et les rivières. Deux d'entre eux sont devenus des producteurs de fleurs et de fruits, renommés dans le pays et même à l'étranger.
Mais toi, petite, qui regardes une mauvaise reproduction du tableau et qui sens tes paupières s'alourdir, tu n'as qu'une idée: en finir avec cette femme qui verse son lait et qui te poursuit jusque dans les publicités. Hé oui, les