Moderato cantabile
Liliane Ayad2
“Terre et ciel que je puis chanter d’un style bas
Non point tels qu’ils étaient, mais tels qu’ils n’étaient pas.”
—Du Bartas, Première Semaine
Considéré par les critiques comme “une oeuvre singulière”, occupant une place à part dans l’ensemble de la production romanesque de Marguerite
Duras, le récit de “Moderato Cantabile”, étroitement lié aux thèmes exploités par la romancière , se situe “par les techniques utilisés et les recherches particulières qu’[il révèle], un peu à l’écart de cette production”. Une femme, un homme, un enfant et de l’alcool sont à première vue, les ingrédients habituels des récits durassiens. Cependant, l’oeuvre nous attire par sa composition savante autour d’ “un récit mince et linéaire” où, dès le début, l’évidence d’un fait-divers criminel s’oppose par anti-phrase à l’univers virtuel où les faits ne sont créés que par le biais de la conversation.
Anne et Chauvin venaient de se connaître. Mais, tentant de déchiffrer l’énigme qui entoure le meurtre tragique du café, ils vont découvrir en eux-mêmes une passion naissante et progressante à mesure que leurs rendez- vous se succédaient. C’est alors qu’ils seront entrainés à vivre l’hypothèse avancée par Chauvin pour expliquer le crime qui devient le couronnement de la passion et du désir au lieu d’en être la destruction. Dans leur dernière rencontre, Anne, comme l’assassinée, découvre en elle ce désir d’être tuée par un amant qui en venait à désirer sa mort. Ils se quitteront définitivement sur ces mots:
“— Je voudrais que vous soyez morte, dit Chauvin.
— C’est fait, dit Anne Desbaresdes.”
Liliane AYAD
1. Brisant l’atmosphère paisible de la leçon de piano à laquelle Anne Desbaresdes, épouse d’un jeune industriel, avait accompagné son enfant comme d’habitude, un cri éclate au café tout proche, juste au milieu de la