Molière
CÉLIMÈNE
Mais de tout l’univers vous devenez jaloux.
ALCESTE
C’est que tout l’univers est bien reçu de vous.
CÉLIMÈNE
C’est ce qui doit rasseoir votre âme effarouchée,
Puisque ma complaisance est sur tous épanchée ;
Et vous auriez plus lieu de vous en offenser,
Si vous me la voyiez sur un seul ramasser.
ALCESTE
Mais moi, que vous blâmez de trop de jalousie,
Qu’ai-je de plus qu’eux tous, Madame, je vous prie ?
CÉLIMÈNE
Le bonheur de savoir que vous êtes aimé.
ALCESTE
Et quel lieu de le croire a mon cœur enflammé ?
CÉLIMÈNE
Je pense qu’ayant pris le soin de vous le dire,
Un aveu de la sorte a de quoi vous suffire.
ALCESTE
Mais qui m’assurera que, dans le même instant,
Vous n’en disiez peut-être aux autres tout autant ?
CÉLIMÈNE
Certes, pour un amant, la fleurette est mignonne,
Et vous me traitez là de gentille personne.
Hé bien ! Pour vous ôter d’un semblable souci,
De tout ce que j’ai dit je me dédis ici,
Et rien ne saurait plus vous tromper que vous-même :
Soyez content.
ALCESTE
Morbleu ! faut-il que je vous aime ?
Ah ! que si de vos mains je rattrape mon cœur,
Je bénirai le Ciel de ce rare bonheur !
Je ne le cèle pas, je fais tout mon possible
À rompre de ce cœur l’attachement terrible ;
Mais mes plus grands efforts n’ont rien fait jusqu’ici,
Et c’est pour mes péchés que je vous aime ainsi.
CÉLIMÈNE
Il est vrai, votre ardeur est pour moi sans seconde.
ALCESTE
Oui, je puis là-dessus défier tout le monde.
Mon amour ne se peut concevoir, et jamais
Personne n’a, Madame, aimé comme je fais.
CÉLIMÈNE
En effet, la méthode en est toute nouvelle,
Car vous aimez les gens pour leur faire querelle ;
Ce n’est qu’en mots fâcheux qu’éclate votre ardeur,
Et l’on n’a vu jamais un amant si grondeur.
ALCESTE
Mais il ne tient qu’à vous que son chagrin ne passe.
À tous nos démêlés coupons chemin, de grâce,
Parlons à cœur ouvert, et voyons