Montaigne essais "notre parler a ses faiblesse"
« Notre parler a ses faiblesses et ses défauts »
Les Essais, œuvre autobiographique dans laquelle Montaigne rapporte non pas les évènements de sa vie mais ses réflexions, abordent de très nombreux thèmes. Dans le chapitre 12 du livre II, l’auteur évoque les problèmes du langage, présenté comme une source d’erreur et de conflit.
« Notre parler a ses faiblesses et ses défauts, comme tout le reste. La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes. Nos procès ne naissent que du débat de l’interprétation des lois ; et la plupart des guerres, de cette impuissance de n’avoir su clairement exprimer les conventions et traités d’accord des princes. Combien de querelles et combien importantes a produit au monde le doute du sens de cette syllabe : hoc1. Prenons la clause2 que la logique même nous présentera pour la plus claire. Si vous dites : Il fait beau temps, et que vous disiez la vérité, il fait donc beau temps. Voilà une forme de parler certaine ? Encore nous trompera-t-elle. Qu’il soit ainsi, suivons l’exemple. Si vous dites : Je mens, et que vous disiez vrai, vous mentez donc. L’art, la raison, la force de la conclusion de celle-ci sont pareils à l’autre ; toutefois nous voilà embourbés. Je vois les philosophes Pyrrhoniens3 qui ne peuvent exprimer leur générale conception en aucune manière de parler ; car il leur faudrait un nouveau langage. Le nôtre est tout formé de propositions affirmatives, qui leur sont du tout ennemies. De façon que, quand ils disent : « Je doute », on les tient incontinent à la gorge pour leur faire avouer qu’au moins assurent et savent-ils cela, qu’ils doutent. Ainsi on les contraints de se sauver dans cette comparaison de la médecine, sans laquelle leur humeur serait inexplicable ; quand ils prononcent : « J’ignore » ou « Je doute », ils disent que cette proposition s’emporte4 elle-même, quant et quant5, le reste, ni plus ni moins que la rhubarbe qui pousse hors6 les mauvaises