Morale et émotion
La morale et les émotions
Gayannée Kédia
Université de Cologne, Allemagne De plus en plus de scientifiques adhèrent à l’idée que les comportements des organismes vivants, dont ceux des êtres humains, ont pour finalité principale de servir des intérêts égoïstes de façon à propager ses gènes. Si cela est vrai, comment se fait-il que régulièrement nous sacrifiions nos intérêts personnels pour ne pas nuire à autrui voire pour lui venir en aide ? Pourquoi, lorsque nous sommes sûrs de ne pas nous faire attraper ne volons nous pas l’argent qui se trouve dans le portefeuille de notre collègue ? Qu’est-ce qui nous pousse à dire la vérité lorsque l’on nous interroge sur des choses que nous préférerions garder secrètes ? Pour quels motifs envoyer anonymement de l’argent à des associations humanitaires ou laisser son siège à une personne âgée dans le bus ? Ces questions qui ont été débattues pendant des siècles par les philosophes sont aujourd’hui un terrain de recherche en plein essor pour les chercheurs en psychologie et en neurosciences. Est-ce notre raison ou nos sentiments qui nous poussent à bien agir? C’est la question que nous nous proposons de développer dans cet article.
Les approches rationalistes de la morale
Les premiers psychologues à s’être intéressés à la morale, Jean Piaget puis Lawrence Kohlberg (1969), fortement influencés par la philosophie d’Emmanuel Kant (1785-2005), considéraient que la raison* est notre meilleur juge, bien meilleur que notre sensibilité qui décide selon nos goûts et nos préférences et qui peut amener à des conduites injustes. Pour illustrer la pensée de ces auteurs, prenons le dilemme de Heinz utilisé par Kohlberg pour tester le développement moral des individus. « La femme de Heinz est mourante mais Heinz n’a pas les moyens d’acheter le seul médicament qui pourrait la sauver. En effet, le seul pharmacien qui le fabrique en demande un prix exorbitant et refuse de faire