Mort de manon
La sobriété du récit Comparé à la mort des héroïnes de Julie ou la nouvelle Héloïse (Rousseau), Paul et Virginie (Bernardin de Saint-Pierre), Atala (Chateaubriand), ce récit d’agonie se distingue par son économie. Pas de longues scènes coupées de narration, pas de débats religieux, ni révélations, ni révoltes (Julie, Atala), pas de postures mélodramatiques (Virginie se jetant de la proue du navire face à la foule). Certes, Des Grieux prépare l’événement, notamment par les hyperboles ( «un récit qui me tue»,» un malheur qui n’eut jamais d’exemple».) Mais on est frappé par la douceur de Manon et sa passivité face à son destin. Elle meurt d’épuisement physique et moral, sans sursaut. Seuls quelques signes corporels révèlent à Des Grieux l’approche de la mort : mains «froides et tremblantes», «voix faible», «soupirs fréquents»,» silences», «serrement de ses mains». Les efforts de Manon pour s’exprimer se réduisent à une annonce à laquelle, tout d’abord, il n’accorde pas d’importance et rapportée au style indirect ( «elle me dit, d’une voix faible, qu’elle se croyait à sa dernière heure»), puis à des «expressions» et «marques d’amour» dont nous ne saurons rien. Des Grieux, des mois après les faits, reste incapable de raconter en détail leur ultime adieu, réduit à des chuchotements. Il s’en excuse auprès de ses auditeurs à trois reprises : «Pardonnez, si j’achève en peu de mots», «N’exigez point de moi», «c’est tout ce que j’ai la force de vous apprendre». Cette difficulté à dire l’indicible de la séparation est surtout perceptible dans la phrase la plus lapidaire, qui intervient au moment fatal : «je la perdis». Jamais le mot de mort n’est d’ailleurs prononcé, seul apparaît le verbe «expirer».