Dans l'opéra de Mozart il ne s'agit pas du tout d'un aventurier, heureux dans ses prouesses amoureuses, mais plutôt d'un pauvre pécheur poursuivi par la malchance et qui, en fin de compte, subit le sort traditionnel des gens de son époque, c'est-à-dire l'expiation dans l'Enfer chrétien. Tirons donc la conclusion logique que ce volage « bourreau des cœurs » n'est pas l'essentiel du thème de Don Juan, mais que la légende et la poésie y ont cherché et trouvé autre chose dès le début. La tradition montre de toute évidence que dans le thème de Don Juan ce n'est pas l'impulsion sexuelle effrénée qui est le motif principal. Nous n'avons nul besoin non plus de l'histoire qui nous prouve froidement que Don Juan n'a jamais existé en réalité, pour nous confirmer dans l'opinion que l'imagination des poètes a voulu peindre en Don Juan la nature du Héros conquérant auquel rien ne résiste. Nulle part dans la littérature jusqu'à Mozart, nous ne trouvons dans le sujet de Don Juan le motif poétique de la séduction, cependant si attrayant pour l'imagination populaire, mais au contraire, et comme du fait d'une nécessité énigmatique, nous y rencontrons partout le motif tragique de la culpabilité et du châtiment, depuis longtemps transmis par la tradition. Cela se manifeste déjà extérieurement par le fait que du double titre de la pièce de Tirso de Molina, El Burlador de Sévilla y convidado di pietra, le deuxième titre : Le festin de Pierre, a été seul maintenu par les auteurs jusqu'au XVIIIe siècle sans que le nom du héros, qui aujourd'hui exerce sur nous une telle fascination, parût dans le titre. Comme ses prédécesseurs, ce n'est pas le motif érotique qui a inspiré ce grand maître, mais un motif tragique, dont l'action profonde nous a été rendue compréhensible par Freud, à l'occasion de l'étude d'un autre grand artiste. Le père de Mozart mourut juste à l'époque