DUCHOUX En descendant le grand escalier du cercle chauffé comme une serre par le calorifère, le baron de Mordiane avait laissé ouverte sa fourrure ; aussi, lorsque la grande porte de la rue se fut refermée sur lui, éprouva-t-il un frisson de froid profond, un de ces frissons brusques et pénibles qui rendent triste comme un chagrin. Il avait perdu quelque argent, d'ailleurs, et son estomac, depuis quelque temps, le faisait souffrir, ne lui permettait plus de manger à son gré. Il allait chez lui, et soudain la pensée de son grand appartement vide, du valet de pied dormant dans l'antichambre, du cabinet où l'eau tiédie pour la toilette du soir chantait doucement sur le réchaud à gaz, du lit large, antique et solennel comme une couche mortuaire, lui fit entrer, jusqu'au fond du coeur, jusqu'au fond de la chair, un autre froid plus douloureux encore que celui de l'air glacé. Depuis quelques années il sentait s'appesantir sur lui ce poids de la, solitude qui écrase quelquefois les vieux garçons. Jadis, il était fort, alerte et gai, donnant tous ses jours au sport et toutes ses nuits aux fêtes. Maintenant, il s'alourdissait et ne prenait plus plaisir à grand-chose. Les exercices le fatiguaient, les soupers et même les dîners lui faisaient mal, les femmes l'ennuyaient autant qu'elles l'avaient autrefois amusé. La monotonie des soirs pareils, des mêmes amis retrouvés au même lieu, au cercle, de la même partie avec des chances et des déveines balancées, des mêmes propos sur les mêmes choses, du même esprit dans les mêmes bouches, des plaisanteries sur les mêmes sujets, des mêmes médisances sur les mêmes femmes, l'écoeurait au point de lui donner, par moments, de véritables désirs de suicide. Il ne pouvait plus mener cette vie régulière et vide, si banale, si légère et si lourde en même temps, et il désirait quelque chose de tranquille, de reposant, de confortable, sans savoir quoi. Certes, il ne songeait pas à se marier, car il ne se sentait pas