Mythe
Après la grande marée structuraliste, sans doute faut-il interroger le statut ambigu de ce que nous appelons « mythologie », d'un mot où, dans notre usage linguistique, s'entrecroisent deux discours dont le second parle du premier et relève de l'interprétation. Car, par mythologie, nous désignons aussi spontanément un ensemble d'énoncés discursifs et de pratiques narratives – récits et histoires que tout le monde connaît au xviiie et au xixe siècle – que le discours sur les mythes, le savoir qui entend parler de mythes en général, de leur nature ou de leur essence. L'enquête se révèle nécessaire si l'on remarque que Claude Lévi-Strauss fondait son entreprise sur l'évidence qu'un mythe est perçu comme mythe par tout lecteur dans le monde entier, tandis que Georges Dumézil confessait avoir passé toute sa vie à comprendre la différence entre un conte et un mythe.
Dans une histoire généalogique qui va des Grecs à Lévi-Strauss – et, réciproquement, de Lévi-Strauss aux Grecs –, la configuration de la mythologie se décide pour l'essentiel en deux étapes : au xixe siècle, quand s'instaure un savoir nouveau qui se dit explicitement science de la mythologie ; et, à l'autre bout, dans la visée que pointe la nouvelle science, professant le modèle de sa propre démarche, lorsque, entre Xénophane et Thucydide, se dessine une première figure de la mythologie, construite sur une notion inédite de mythos. Pareil cheminement se justifie doublement : d'une part, l'analyse des mythes, aujourd'hui comme naguère, se déploie tout entière dans l'espace aménagé par la science mythologique qui a surgi vers 1850 ; d'autre part, des relations privilégiées et fondamentales se nouent entre cette science du xixe siècle et une certaine idée de la Grèce.
Repenser la mythologie, c'est d'abord repérer les procédures d'exclusion portées par un vocabulaire du scandale convoquant toutes les formes de l'altérité, situer les gestes de partage répétés et successifs où