Mythiques rencontres de franz kafka
Franz Kafka : De la main de l'auteur, retour au texte.
La République des Lettres, samedi 01 juin 1996.
Aucun auteur n'a fait plus pour exprimer le mythe du XXe siècle que Franz Kafka. Il condense les anxiétés du siècle dans de grotesques images profondément imprégnées d'associations culturelles, quoique réellement nouvelles dans leur conception: le tribunal, le château, la machine à torture, l'homme-cafard, l'artiste dans la faim. Dans ces emblêmes visionnaires, il condense nos continuels dilemnes: bureaucratie et barbarie, capital et dépenses de l'âme, patriarcat, volonté éperdue de transcendance. Dans Le Procès, la fusion du mal et de la métaphysique a transformé le roman en un symbole qui n'a pas seulement accumulé les forces de l'obscurité, mais qui vénère aussi le mal qu'il affecte de mépriser. Comme il l'a reconnu, "le mensonge est devenu l'ordre du monde".
Paradoxalement, Franz Kafka crée son mythe en transformant sa sensibilité de Juif praguois de langue allemande, d'étranger aux limites de l'Empire, en foyer central de son oeuvre. En télescopant sa subjectivité dans les plus petits corrélatifs linguistiques -- notamment la lettre K -- Franz Kafka a débouché sur une formule puissante, dont l'algèbre engendre les connotations sans fin de son oeuvre. La coïncidence d'une telle minutie textuelle avec des significations universellement suggestives élève l'édition précise des écrits de Kafka en une question d'intérêt considérable.
Même avant l'achèvement de la grande édition critique de son oeuvre, publiée par Fischer, appuyée par un panel consultatif distingué, et éditée par une équipe de quatre amis parmi lesquels l'érudit anglais Malcom Pasley a joué un rôle de premier plan, une édition concurrente a été lancée par Stroemfeld/Roter Stern, édition qui s'appelle elle-même explicitement "historico-critique". Les titres divergents renvoient à des approches radicalement différentes et une bataille critique a commencé, pas très différente de