Au chant IX, vers 105 à 566, après avoir été confrontés aux Cicones et aux Lotophages, Ulysse et ses compagnons croisent les îles des Cyclopes. Cette rencontre est particulièrement détaillée à travers le cas du cyclope Polyphème. Il semble que cet épisode ait particulièrement marqué les Grecs puisque c’est celui qui a donné lieu aux représentations artistiques les plus anciennes. Par ailleurs son interprétation faisait l’objet de débats. Héraclite, dans les Allégories d’Homère, y voyait un passage moral fustigeant l’emportement sauvage, tandis que Sophocle et Euripide voyaient dans l’attitude d’Ulysse une glorification de la cruauté et de la fourberie. Aussi pourra-t-on se demander quelles significations on peut attribuer à l’épisode des cyclopes. Nous verrons dans un premier temps que l’on peut lire le passage comme un conte moral. Puis, nous nous demanderons quelles significations l’extrait peut revêtir à l’égard du parcours initiatique d’Ulysse. Enfin, nous verrons en quoi ce passage explore le questionnement grec sur la notion d’humanité. Il semble que l’on puisse lire l’épisode des cyclopes comme un conte à visée morale.
Le récit comporte en effet une dimension étiologique. Si « cyclope » veut dire « œil rond » en grec, il s’agit alors d’une représentation mythifiée et narrativisée de la force des volcans, d’où la comparaison de la tête des cyclopes avec le « sommet boisé d’une haute montagne », leur habitat au sommet d’une montagne, et le fait qu’ils jettent des pierres. On peut les rapprocher en ce sens des Lestrygons qu’Ulysse croise au chant X. Dans toutes les mythologies, les volcans sont d’ailleurs considérés comme des lieux de passage mystérieux et particulièrement imposants vers le monde surnaturel.
Nous sommes ainsi clairement avec les cyclopes dans le monde merveilleux : la navigation par laquelle Ulysse et ses compagnons sont arrivés dans le pays cyclopéen n’en est pas vraiment une ; c’est une dérive au hasard dans un monde sans géographie