1 XXXV. Les Fenêtres Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie. Par-delà des vagues de toits, j'aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j'ai refait l'histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant. Si c'eût été un pauvre vieux homme, j'aurais refait la sienne tout aussi aisément. Et je me couche, fier d'avoir vécu et souffert dans d'autres que moi-même. Peut-être me direz-vous: "Es-tu sûr que cette légende soit la vraie?" Qu'importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m'a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis?
Introduction Une fenêtre est à la fois une ouverture, un passage comme une porte entre l’extérieur et l’intérieur. Une fenêtre ouvre sur l’extérieur en même temps que fermée, elle clôt l’espace d’un pièce à ce qui vient de l’extérieur. Mais une fenêtre a aussi une fonction plus équivoque, fermée elle permet de voir dehors en étant protégé. Le regard traverse la vitre de la fenêtre depuis l’espace intime d’une chambre, quand la pièce n’est pas éclairée elle permet de voir sans être vu, mais éclairée elle devient spectacle pour celui qui la regarde de l’extérieur, inversant le sens du regard, de l’extérieur vers l’intérieur. C’est ce regard de l’extérieur vers l’intérieur que Baudelaire nous invite à considérer dans ce poème en prose : « les fenêtres ». Le poème analyse le regard mais aussi l’état d’esprit de celui qui contemple de l’extérieur