PAS PLEURER
PAS PLEURER roman ÉDITIONS DU SEUIL
25, bd Romain-Rolland, Paris XIVe
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Au nom du Père du Fils et du Saint-Esprit, monseigneur l’évêque-archevêque de Palma désigne aux justiciers, d’une main vénérable où luit l’anneau pastoral, la poitrine des mauvais pauvres. C’est Georges
Bernanos qui le dit. C’est un catholique fervent qui le dit.
On est en Espagne en 1936. La guerre civile est sur le point d’éclater, et ma mère est une mauvaise pauvre.
Une mauvaise pauvre est une pauvre qui ouvre sa gueule. Ma mère, le 18 juillet 1936, ouvre sa gueule pour la première fois de sa vie. Elle a quinze ans.
Elle habite un village perdu de la haute Catalogne où, depuis des siècles, de gros propriétaires terriens maintiennent des familles comme la sienne dans la plus grande pauvreté.
Au même moment, le fils de Georges Bernanos s’apprête à se battre dans les tranchées de Madrid sous l’uniforme
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bleu de la Phalange. Durant quelques semaines, Bernanos pense que l’engagement de son fils auprès des nationaux est fondé et légitime. Il a les idées que l’on sait. Il a milité à l’Action française. Il admire Drumont.
Il se déclare monarchiste, catholique, héritier des vieilles traditions françaises et plus proche en esprit de l’aristocratie ouvrière que de la bourgeoisie d’argent, qu’il exècre. Présent en Espagne au moment du soulèvement des généraux contre la République, il ne mesure pas d’emblée l’ampleur du désastre. Mais très vite, il ne peut tordre l’évidence. Il voit les nationaux se livrer à une épuration systématique des suspects, tandis qu’entre deux meurtres, les dignitaires catholiques leur donnent l’absolution au nom du Père du Fils et du Saint-Esprit.
L’Église espagnole est devenue la Putain des militaires épurateurs. Le cœur soulevé de dégoût, Bernanos assiste impuissant à cette infâme connivence. Puis, dans un effort
éprouvant