Peut-on désirer sans souffrir?
La philosophie classique est volontiers critique à l’égard du désir : s’il est question de le tempérer, d’y résister et s’en détourner, c’est parce qu’il semble nous condamner à souffrir. Que nous apporte en effet le désir, sinon une satisfaction toujours incomplète, et sa capacité à ressurgir ? Mais ne peut-on inverser la perspective, pour considérer que le désire donne en priorité un sens aux choses et au monde ? Et que, ce faisant, il confirme note être même ? Cependant, cette relation ne risque-t-elle pas d’être faussée par l’économie et la consommation modernes ? En sorte que ne demeureraient authentiquement exaltants que des désirs capables d’orienter toute existence.
Pourquoi le désir est-il classiquement conçu comme source de souffrance ? La philosophie n’est-elle pas elle-même un désir ? En cherchant à tenir le désir à distance, la philosophie ne trahit-elle pas sa propre définition ? Qu’est –elle d’autre en effet qu’un désir de sagesse : Socrate le rappelle dans Le Banquet : « Aucun des dieux ne philosophe et ne désire devenir savant, car il l’est. ». Seule philosophe celui qui n’est pas « savant », et c’est bien ce manque qui fait naître sa quête. Mais il est d’une certaine façon prévu que celle-ci réussisse : le philosophe platonicien finit par contempler les Idées (et par diriger la cité) ; son désir est ainsi comblé. Est-ce alors parce qu’il parvient à satisfaire son désir spécifique que le philosophe examine sans concession les autres désirs qui agitent les hommes ? Il peut, par exemple, signaler à quel point l’amour les entraîne dans la quête interminable d’une unité définitivement perdue : « L’amour, dit Aristophane, recompose l’antique nature, s’efforce de fondre deux êtres en un seul, et de guérir la nature humaine », et qu’il s’y efforce ne signifie pas qu’il y réussit…
De plus, le désir révèle un manque. Tout désir serait comme cet amour : il désigne un manque chez le sujet. Désirer, c’est agir pour