Peut on opposer l'art à la technique
« Ars longa, vita brevis. » Ainsi les Latins traduisirent-ils une pensée d’Hippocrate, que nous pourrions énoncer de la suivante manière : « L’art est long, la vie courte. » La pérennité de l’art, en effet, assure celle de ses géniteurs ; mais ce serait mal juger cet aphorisme que de restreindre ainsi la portée du terme « ars », car nous serait alors occulté le sens de l’expression tel qu’il fut compris par qui immortalisa cet adage. Qu’était pour Hippocrate la τέχνη, et qu’était l’ars pour qui traduisit ce mot grec ? Ce dernier, rappelons-le, est à l’origine de notre technique ; quel est donc le lien entre ces deux disciplines ? Sont-elles consubstantielles, l’une comprend-elle l’autre, ou serait-il plus juste d’établir une opposition entre elles ? Il convient de procéder à une réponse à cette problématique en trois temps : d’abord sera considérée l’opinion antique, qui longtemps eut cours ; puis, celle qui s’y substitua au XVIIIe siècle ; enfin sera avancée une conciliation de ces deux thèses.
La conception antique de l’art constitue le premier objet de notre étude. Dans l’Antiquité, l’on considère que l’art est essentiellement une technique, ou un ensemble de techniques, orientées vers une fin donnée ; l’art relève de la production artificielle, et peut qualifier diverses activités, ou les outils s’y rapportant. C’est ainsi que les Anciens parlent des arts de la guerre, de la médecine, et ainsi de suite ; Horace fut l’auteur d’un Ars Poetica, et Ovide d’un Ars Amatoria ; Salluste va jusqu’à employer le terme dans le sens de « vertus », en ce qu’elles sont auxiliatrices de quiconque désire mener une heureuse vie.
Si technique provient du mot τέχνη, le terme ars nous a donné à la fois artiste et artisan ; sa descendance nous signifie avec assez d’éloquence quels en furent les sens. Pour les Anciens, la pratique de l’art est essentiellement liée à celle de la technique : l’artiste et l’artisan sont un. La