Peut-on reprocher à une oeuvre d'art de ne rien vouloir dire ?
Si l'on nous montre côte à côte un tableau et le chiffon sur lequel le peintre a essuyé ses pinceaux, nous saurons sans peine dire lequel des deux est une œuvre d'art, La toûe se distingue du chiffon parce que les couleurs et les formes qui y sont déposées ont une unité interne, une cohérence qui « veulent dire quelque chose ». Aussi sommes-nous tentés, face à des œuvres déroutantes, de les disqualifier en leur reprochant de « ne rien vouloir dire ». Mais ce critère est-il vraiment pertinent pour le jugement esthétique ? Que voulons-nous dire en affirmant qu'une œuvre d'art doit vouloir dire quelque chose? Son silence ne peut-il pas au contraire être un attribut essentiel de l'art?
I. L'œuvre d'art doit nous dire quelque chose
Kant a bien montré que notre jugement sur l'art ne relève ni du simple plaisir ni de la compétence technique mais d'une satisfaction esthétique, fruit du libre jeu des facultés de l'esprit. Il semble qu'une des règles élémentaires de ce jeu soit la présence d'un sens qui nous permet de percevoir l'œuvre d'art en tant que telle.
* L'œuvre d'art se distingue des objets naturels
D'un caillou on peut seulement dire qu'il est là dans l'espace ; un outil ne prend sens qu'à travers sa fonction ; l'œuvre d'art, elle, procède d'une intention et manifeste un sens. Elle doit « vouloir dire » quelque chose en un double sens.
a. Elle témoigne d'une volonté d'expression de la part de l'artiste. Baudelaire montre que ce dernier se distingue du simple rêveur en donnant une forme concrète à la perception des « correspondances ».
b. Elle prend pour nous un sens particulier en fonction des émotions qu'elle suscite ou de la méditation qu'elle appelle; le travail du critique consiste en une navette permanente entre le sens exprimé et le sens perçu.
* L'œuvre d'art peut véhiculer un « message »
Le sens exprimé par l'œuvre d'art peut même vouloir être très explicite et ne laisser au public qu'une interprétation possible, ou du moins