Peut-on rire de tout
mon
humour...
L’humour comme distance dans l’espace interculturel
Azouz BEGAG *
L'humour et l'autodérision marquent désormais le style des jeunes issus de l'immigration. En cela, l'humour se révèle un "puissant diluant" de l'immigration dans le mainstream de la société. Effet d'un "télescopage interculturel" maîtrisé, il déplace les frontières, dédramatise les préjugés et crée ainsi un "espace commun d'identification".
B
ien que l’idée soit séduisante, on ne peut pas prétendre que depuis une vingtaine d’années, en littérature, au théâtre, au cinéma… l’autodérision et l’humour se soient substitués à la contestation et au misérabilisme dans les questions relatives à l’immigration. En effet, les thèmes de la peur, de l’inquiétante étrangeté, de l’insécurité, de la violence, de l’invasion, de l’altérité sont toujours récurrents à l’ensemble de ces questions mettant en scène les Autres avec leurs différences. Mais cela ne doit pas nous empêcher de constater, il est vrai, que depuis une quinzaine d’années, chez les jeunes des quartiers, l’humour et l’autodérision sont devenus des traits marquants et que les classiques rhétoriques du déchirement entre deux cultures, deux pays, qui alimentaient «gravement» les histoires de familles immigrées jusqu’aux années quatre-vingt ne font plus école. Elles ont fait place a un traitement plus «léger», plus distancié, moins passionnel. Ce changement de ton — mieux vaut en rire qu’en pleurer ! — a de multiples raisons et implications que je vais tenter d’esquisser dans cet article. Besoin d’humour Plusieurs raisons participent à expliquer pourquoi l’humour s’est fait une place dans les regards sur l’immigration en France. D’abord la redondance et l’épuisement des problématiques de l’exil et de la migration dans les années soixante-dix, déclinées essentiellement comme des «problèmes» pour les migrants et la société d’accueil, souvent dans un sens tragique, et analysées au seul prisme de l’économie. La