Philo de pavés
Au départ, je m’étais assis ici juste pour me reposer. C’était une fin d’après midi, les pavés du trottoir étaient encore frais d’une nuit d’octobre et le soleil me réchauffait les joues. Avant ce jour, j’étais un actif, jeune graphiste dans la mode, un salaire, un appart, des rendez-vous ; de l’occupation… Puis j’avais fait une rencontre violente avec la sagesse et tout cela m’avait semblé soudain fatiguant. Athée depuis toujours, je pris dans l’estomac le non-sens de l’existence. Tout devint à mes yeux une mauvaise comédie, un soap insipide. Je m’étais dit qu’en laissant se calmer le monde quelques instants je trouverais une raison de me relever, mais les heures commencèrent à s’écouler lentement, et je restais là.
Puis vint la nuit. Les gens fêtaient le week-end dans les bars et les restaurants, ici et là des petites familles et des groupes de jeunes déambulaient. Je voyais dans leurs yeux le plaisir d’être ensemble, le bonheur de parler, d’échanger, oubliant la semaine de travail. J’avais le sentiment qu’ils se perdaient dans ces petits moments, que la raison était avec moi, assis par terre, au pied d’un vieil immeuble. Petit à petit il ne resta plus que les jeunes, éméchés, criant, rigolant, et finalement plus personne. Juste un passant quelques fois, rentrant chez lui, ou allant à la gare. Les néons s’obstinèrent quand même à colorer les pavés; je ne dormis pas, j’écoutais mon corps qui semblait paralysé et oppressé par l’environnement.
Le temps passait et je restais là. Mes jours s’écoulaient aux sons de vieilles ginguettes qu’un accordéoniste trop souriant (pour être heureux) offrait aux passants. Mes nuits, elles, restaient ce marais de lumière crue et de silhouettes de moins en moins humaines. Les jours et les heures s’accumulaient encore et je restais là à regarder les chaussures, les jambes, et les culs des gens. J’écoutais des bribes de discussion, me tenant informé ainsi, même si ces bouts de phrases