L’idéologie nazi s’empare de l’Allemagne en 1938 suite à une montée rapide, puis domine rapidement des nations d’Europe, notamment la France dès 1940, menant indubitablement à la Seconde Guerre mondiale. Ces événements ont redéfini la face du monde et Eugène Ionesco en savait quelque chose. Cet écrivain et dramaturge, originaire d’une Roumanie également aux prises avec l’avènement nazi, est le véritable père du théâtre absurde. Un genre avec lequel il n’hésite pas à exposer l’absurdité de la condition humaine, qui, guerre après guerre, ne ressort qu’avec une vulnérabilité et une perte de sens évidentes. Sa pièce Rhinocéros, parue en 1959 et francisée en 1960, en est une représentation vigoureuse de cette perte d’humanisme au profit de la massification. Elle met en scène une société aux prises avec la rhinocérite, condamnant ses habitants à muter en rhinocéros. Nous verrons que l’auteur y expose de façon implicite et suggestive sa vision absurde de l’homme à travers une mise en scène et le développement de personnages s’éloignant de façon marquée du théâtre traditionnel.
La composition scénique d’Ionesco est d’abord et avant tout caractérielle de cette vision absurde. L’utilisation de l’imagerie du rhinocéros comme élément central de l’intrigue témoigne de ce désir qu’a l’auteur de mettre en relief l’insouciance de l’homme en lui attribuant les caractéristiques d’une bête brutale et un tant soit peu dénuée de raisonnement logique. Cet animal, synonyme de fléau dans la pièce, est également le reflet de l’abrutissement de l’homme à travers ses idéologies et conceptions de masse. Une autre démonstration éloquente de ce phénomène de massification est la personnification limitée des personnages. Jean, Daisy, Béranger… jamais un nom ne complète un prénom et vice-versa. D’autant plus que plusieurs personnages sont nommés, voire plutôt identifiés selon une certaine extension de leur personnalité ou encore de leur occupation, comme M. Logique, Monsieur Bœuf, Le Patron du