Pierre Corneille, L'illusion comique (1635)
Alcandre : Ainsi de notre espoir la fortune se joue; Tout s'élève ou s'abaisse au branle de sa roue, Et son ordre inégal qui régit l'univers Au milieu du bonheur a ses plus grands revers.
Pridamant : Cette réflexion mal propre pour un père Consolerait peut-être une douleur légère. Mais, après avoir vu mon fils assassiné, Mes plaisirs foudroyés, mon espoir ruiné, J'aurais d'un si grand coup l'âme bien peu blessée, Si de pareils discours m'entraient dans la pensée. Hélas ! dans sa misère il ne pouvait mourir ! N'attendez pas de moi des plaintes d'avantage : La douleur qui se plaint cherche qu'on la soulage ; La mienne court après son déplorable sort. Adieu, je vais mourir, puisque mon fils est mort.
Alcandre : D'un juste désespoir l'effort est légitime, Et de le détourner je croirais faire un crime. Oui, suivez ce cher fils sans attendre à demain, Mais épargnez du moins ce coup à votre main : Laissez faire aux douleurs qui rongent vos entrailles, Et, pour les redoublez, voyez ses funérailles.
On tire un rideau et on voit tous les comédiens qui partagent leur argent.
Pridamant : Que vois-je ! chez les morts compte-on de l'argent ?
Alcandre : Voyez si pas un d'eux s'y montre négligent !
Pridamant : Je vois Clindor, Rosine. Ah ! Dieu ! quelle surprise ! Je vois leur assassin, je vois sa femme et Lyse ! Quel charme en un moment