Pour produire chez son lecteur des réactions passionnées semblables à celles que demandait La Défense et Illustration de la langue française, Du Bellay construit une situation de dialogue : des adresses explicites (sonnet 78), des interrogations posées à tel ou tel (sonnets 14 et 33), ou même la fiction d’une prise de parole par le destinataire (sonnets 18 et 75). La poésie permet la maitrise des passions du destinateur parce qu’elle en assure pleinement l’énonciation; elle peut ainsi « enchanter » les « ennuis » (sonnet 11). Refuser la fureur (sonnets 7, 13, 21 et 42), c’est une manière de condamner son passé poétique et de se séparer d’une tradition qui remonte à Homère et à Lucrèce, et dont la théorie, présente chez Platon, est exprimée nettement par Ovide : « Il y a un Dieu en nous, nous brulons lorsqu’il s’agite ». Platon énumère les 4 fureurs dans Phèdre et celle qui concerne la poésie est accordée par les Muses. C’est une des raisons pour lesquelles Du Bellay souligne sa séparation d’avec elles (sonnet 6) après les avoir comparées à ces tentations fallacieuses que représentent les Sirènes (À Monsieur D’Avanson v.45 à 48). Si le poète pardonne au « plaisant labeur » (sonnet 13), il présente dès le deuxième sonnet qu’il ne se soumettra pas aux contraintes. Il s’agit en effet de retrouver le naturel, la « naïveté », qui permettra la manifestation du don, cette disposition permanente assurant l’aisance dans l’écriture. Cette « fureur plus basse » conduit à un mouvement d’ascension vers le souverain bien que l’on perçoit dans les sonnets dédiés à Marguerite. La poésie opère un détachement du sensible conduisant à un ravissement et à une conversion. La fureur ne permet pas de gagner l’immortalité (sonnet 7) : n’étant qu’une « douteuse espérance » (sonnet 53), elle doit être refusée (sonnet 4) au nom de la réalité de la mort, « éternelle nuit » (sonnet 53), et donc au nom de la réalité que représente le « fardeau de notre humanité » (sonnet 184). La poésie se fait