Pour Que Tu Ne Perdes Pas Dans Le Quartier
POUR QUE
TU NE TE PERDES PAS
DANS LE QUARTIER roman GALLIMARD
Je ne puis pas donner la réalité des faits, je n’en puis présenter que l’ombre.
STENDHAL
Presque rien. Comme une piqûre d’insecte qui vous semble d’abord très légère. Du moins c’est ce que vous vous dites à voix basse pour vous rassurer. Le téléphone avait sonné vers quatre heures de l’après-midi chez Jean Daragane, dans la chambre qu’il appelait le « bureau ». Il s’était assoupi sur le canapé du fond, à l’abri du soleil. Et ces sonneries qu’il n’avait plus l’habitude d’entendre depuis longtemps ne s’interrompaient pas. Pourquoi cette insistance ? À l’autre bout du fil, on avait peut-être oublié de raccrocher. Enfin, il se leva et se dirigea vers la partie de la pièce près des fenêtres, là où le soleil tapait trop fort.
« J’aimerais parler à M. Jean Daragane. »
Une voix molle et menaçante. Ce fut sa première impression.
« Monsieur Daragane ? Vous m’entendez ? »
Daragane voulut raccrocher. Mais à quoi bon ? Les sonneries reprendraient, sans jamais s’interrompre. Et, à moins de couper définitivement le fil du téléphone...
« Lui-même.
— C’est au sujet de votre carnet d’adresses, monsieur. »
Il l’avait perdu le mois dernier dans un train qui l’emmenait sur la Côte d’Azur. Oui, ce ne pouvait être que dans ce train. Le carnet d’adresses avait sans doute glissé de la poche de sa veste au moment où il en sortait son billet pour le présenter au contrôleur.
« J’ai trouvé un carnet d’adresses à votre nom. »
Sur sa couverture grise était écrit : EN CAS DE PERTE RENVOYER CE CARNET À. Et Daragane, un jour, machinalement, y avait écrit son nom, son adresse et son numéro de téléphone.
« Je vous le rapporte à votre domicile. Le jour et l’heure que vous voudrez. »
Oui, décidément, une voix molle et menaçante. Et même, pensa Daragane, un ton de maître chanteur. « Je préférerais que nous nous rencontrions à l’extérieur. »
Il avait fait un effort pour surmonter son malaise. Mais sa voix, qu’il aurait