Pourquoi l’europe a-t-elle besoin d’un cadre constitutionnel ?
Jürgen Habermas
Il existe un contraste remarquable entre les attentes et les exigences de ceux qui, immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, essayaient par tous les moyens de faire avancer l’unification européenne et ceux qui, aujourd’hui, envisagent de continuer ce projet ; il y a à tout le moins une différence frappante de rhétorique et d’objectif final. Alors que la première génération des partisans les plus influents n’hésitait pas à parler du projet des “États-Unis d’Europe”, en évoquant par là le modèle des États-Unis d’Amérique ou de la Suisse, le débat actuel s’éloigne du modèle d’un État fédéral, évitant même le terme de “fédération1”. Le livre récent de Larry Siedentop sur la “Démocratie en Europe” traduit un état d’esprit encore bien plus circonspect, plus proche de la vision de Jacques Chirac que de celle de Joschka Fischer : “Un grand débat constitutionnel, écrit-il, n’implique pas nécessairement un engagement préalable en faveur du fédéralisme comme issue la plus souhaitable en Europe. Il se peut que l’Europe soit en train d’inventer une nouvelle forme politique, quelque chose qui soit plus qu’une confédération, mais moins qu’une fédération ; il s’agirait d’une association d’États souverains qui ne mettraient leur souveraineté en commun qu’à des degrés divers, dans des sphères très restreintes, association qui ne chercherait pas à posséder un pouvoir coercitif permettant d’agir directement sur les individus, à la façon dont le font les États-nations.2” On se demande si ce changement de climat est le signe d’un réalisme de bon aloi, fruit d’un processus d’apprentissage vieux de plus de quatre décennies, ou celui d’une pusillanimité contre-productive sinon d’un pur et simple défaitisme.
2Quoi qu’il en soit, lorsqu’il se plaint de l’absence de tout débat constitutionnel profond et inspiré sur le destin de l’Europe — débat qui frapperait