Poèmes en prose
"L'étranger"
- Qui aimes-tu le mieux, homme enigmatique, dis? ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.
- Tes amis?
-Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages!
Baudelaire: Petits poèmes en prose, I (1869)
Raymond Queneau 1973
"Lipogramme en A, en E et en Z"
Raymond Queneau [1903- 1976], « Lipogramme en A, en E et en Z », Oulipo, la littérature potentielle, © Éditions Gallimard, 1973.
Ondoyons un poupon, dit Orgon, fils d’Ubu. Bouffons choux, bijoux, poux, puis du mou, du confit, buvons non point un grog : un punch. Il but du vin itou, du rhum, du whisky, du coco, puis il dormit sur un roc. Un bruit du ru couvrit son son. Nous irons sous un pont où nous pourrons promouvoir un dodo, dodo du poupon du fils d’Orgon fils d’Ubu. Un condor prit son vol. Un lion riquiqui sortit pour voir un dingo. Un loup fuit. Un opossum court. Où vont-ils ? L’ours rompit son cou. Il souffrit. Un lis croît sur un mur : voici qu’il couvrit orillons ou goulots du cruchon ou du pot pur stuc. Ubu pond son poids d’or.
Alphabet
BCDFGHIJK
LMNOPQR
STUVWXY
Charles Baudelaire 1869
"Le désespoir de la vieille"
Charles Baudelaire (1821-1867).
Recueil : Le Spleen de Paris (1869).
La petite vieille ratatinée se sentit toute réjouie en voyant ce joli enfant à qui chacun faisait fête, à qui tout le monde voulait plaire; ce joli être, si fragile comme elle, la petite vieille, et, comme elle aussi, sans dents et sans cheveux. Et elle s'approcha de lui, voulant lui faire des risettes et des mines agréables. Mais l'enfant