Poésie
Petite anthologie sur la fuite du temps.
1. Clément Marot, Chant de Mai et de Vertu (1538)
Volontiers en ce mois ici[1]
La terre mue et renouvelle.
Maints amoureux en font ainsi,
Sujets à faire amour nouvelle
Par légèreté de cervelle,
Ou pour être ailleurs plus contents ;
Ma façon d'aimer n'est pas telle,
Mes amours durent en tout temps.
N'y a si belle dame aussi
De qui la beauté ne chancelle[2] ;
Par temps, maladie ou souci,
Laideur les tire en sa nacelle ;
Mais rien ne peut enlaidir celle
Que servir sans fin je prétends ;
Et pour ce[3] qu'elle est toujours belle
Mes amours durent en tout temps.
Celle dont je dis tout ceci,
C'est Vertu, la nymphe éternelle,
Qui au mont d'honneur éclairci[4]
Tous les vrais amoureux appelle :
« Venez, amants, venez (dit-elle),
Venez à moi, je vous attends ;
Venez (ce dit[5] la jouvencelle).
Mes amours durent en tout temps. »
ENVOI
Prince, fais amie immortelle
Et à la bien aimer entends[6] ;
Lors pourras dire sans cautelle[7] :
« Mes amours durent en tout temps. »
2. Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques (1820), « Le lac »
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour ?
Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre Où tu la vis s'asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes Sur ses pieds adorés.
Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui