prendre soin de soi
Par Eric Fiat, philosophe, Université Paris-est Marne-la-Vallée
Responsable du master d'éthique médicale
Certaine influence à la fois chrétienne et levinassienne sur le soin (influence d'ailleurs mal comprise) a pu conduire à présenter parfois le soin comme pure générosité, comme geste oblatifvsrs le malade, geste dont l'oubli de soi par le soignant serait la plus pure des sources.
Un jeu de mot plus ou moins lacanien pousserait d'ailleurs à considérer le soignant comme un soi-nianî... Et s'il fallait vraiment que le soignant se nie lui-même pour bien soigner, alors il faudrait regarder avec sévérité le soignant qui prend soin de lui-même.
Mais est-il vrai qu'il faille s'oublier soi-même pour prendre soin des autres ? Rien ne nous paraît moins sûr.
Du soin comme oubli de soi
Que si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? Car même les pêcheurs aiment ceux qui les aiment. Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel gré vous en saurs-t-on ? Même les pêcheurs enfant autant. Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ? Même les pêcheurs prêtent à des pêcheurs pour recevoir l'équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et donnez sans rien attendre en retour. Luc 6, 32-34.
Ce texte est sans doute l'un de ceux qui disent de la plus éclatante des manières ce qu'il y aurait d'impur, d'égoïste dans le souci et le soin de soi, dans le souci de la parité, de la symétrie, de la réciprocité, de la réversibilité, de l'équivalence : tout ce qui n'est pas tout ce qui n'est pas pur don, pur amour, pure oblation serait à rejeter. Il n'y aurait d'amour véritable que là où il y a pur désintéressement. Tout ce qui n'est point prose est vers, et tout ce qui n'est point vers est prose, disait le Maître de philosophie à M. Jourdain ? Eh bien de même il faudrait dire que tout ce qui n'est point pur désintéressement n'est que sordide égoïsme, que tout ce