Proust
Le souvenir ramène notre passé dans le présent, nous permet de retrouver “le temps perdu”. Qu’il soit récent ou moins récent, agréable ou moins agréable, le souvenir garantit la continuité avec nous-mêmes et avec le monde autour de nous, sa perte étant synonyme de perte de soi. Quant au mécanisme à l’œuvre dans la production du souvenir, il n’a pas intéressé que les psychologues ou les philosophes, il a intéressé aussi les hommes de lettres dont Proust est de loin le plus connu. Dans l’immense Recherche du temps perdu qui est son œuvre, le souvenir « involontaire » inaugure la reconstruction du passé et aboutit à ce qu’on appelle le temps retrouvé. Dans ce qui suit, je me propose de revenir sur les expériences fondatrices de la Recherche, en particulier sur l’expérience de la petite madeleine qui ouvre le livre et sur celle des pavés inégaux qui le clôt, afin d’en déterminer les éléments communs et les liens qu’ils contractent. Par la même occasion, une remise en question de quelques uns de ces éléments et des concepts qui les soutendent me permettra de relier différemment les éléments-clé du souvenir, d’engager l’analyse dans une voie autre que celle qu’on emprunte couramment. Proust, comme on le sait déjà, distingue entre la mémoire volontaire qui restitue le passé et la mémoire involontaire qui permet de revivre ce passé, de se l’approprier. Peut-on parler pour autant d’une dynamique propre à la mémoire involontaire ? Selon Proust, il s’agirait d’une sensation éprouvée à la fois dans le passé et dans le présent, et qui ferait que l’imagination et la réalité soient complémentaires: « Et voici que soudain l'effet de cette dure loi (celle qui veut qu'on ne puisse imaginer que ce qui est absent) s'était trouvé neutralisé, suspendu, par un expédient merveilleux de la nature, qui avait miroiter une sensation à la fois dans le passé, ce qui permettait à mon imagination de la goûter, et dans le présent où l'ébranlement