Préface des fleurs du mal
Dédicaces et préface successives des Fleurs du Mal
DÉDICACE À THÉOPHILE GAUTIER
Première version
À mon très cher et vénéré maître et ami,
Théophile Gautier.
Bien que je te prie de servir de parrain aux Fleurs du Mal, ne crois pas que je sois assez perdu, assez indigne du nom de poète, pour m’imaginer que ces fleurs maladives méritent ton noble patronage. Je sais que, dans les régions éthérées de la véritable POÉSIE, le MAL n’est pas, non plus que le BIEN, et que ce misérable dictionnaire de mélancolie et de crime peut légitimer les réactions de la morale, comme le blasphémateur confirme la religion. Mais j’ai voulu, autant qu’il était en moi, en espérant mieux peut-être, rendre un hommage profond à l’auteur d’Albertus, de la Comédie de la Mort et d’España, au poète impeccable, au magicien ès langue française, dont je me déclare, avec autant d’orgueil que d’humilité, le plus dévoué, le plus respectueux et le plus jaloux des disciples.
PROJETS D’UNE PRÉFACE
POUR LA SECONDE ÉDITION DES FLEURS DU MAL
[Première version.]
Ce n’est pas pour mes femmes, mes filles ou mes sœurs que ce livre a été écrit ; non plus que pour les femmes, les filles ou les sœurs de mon voisin. Je laisse cette fonction à ceux qui ont intérêt à confondre les bonnes actions avec le beau langage.
Je sais que l’amant passionné du beau style s’expose à la haine des multitudes ; mais aucun respect humain, aucune fausse pudeur, aucune coalition, aucun suffrage universel ne me contraindront à parler le patois incomparable de ce siècle, ni à confondre l’encre avec la vertu.
Des poètes illustres s’étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poétique. Il m’a paru plaisant, et d’autant plus agréable que la tâche était plus difficile, d’extraire la beauté du Mal. Ce livre, essentiellement inutile et absolument innocent, n’a pas été fait dans un autre but que de me divertir et d’exercer mon goût passionné de l’obstacle.
Quelques-uns m’ont dit que