Les deux premières œuvres de Rabelais, ou, si l’on veut, ses deux premières chroniques (puisque c’est le terme de l’auteur), ont pour horizon les livres de chevalerie : elles en parodient les règles comme l’idéologie . Le Tiers Livre, quant à lui, semble en avoir fini avec cette problématique. Tout se passe comme si Rabelais, qui a publié presque coup sur coup ses deux premières œuvres (1532 et 1535), mais qui laisse passer plus de dix ans avant de donner la troisième, en 1546, prenait le temps de la concevoir et ne s’assignait plus les mêmes objectifs. Au reste, les titres signalent en partie ce changement : alors que le Pantagruel, qui, dans la suite des aventures des personnages de Rabelais, précède immédiatement le Tiers Livre, s’intitulait Les horribles et espouventables faictz et prouesses du tresrenommé Pantagruel Roy des Dipsodes, le Tiers Livre a pour titre : Le Tiers Livre des faicts et dicts Heroïques du noble Pantagruel, qui deviendra même dans l’édition de 1552 le bon Pantagruel.
Il est utile, pour approcher la nouveauté du Tiers Livre, de considérer d’abord les nouvelles relations qui s’instaurent entre les personnages, ainsi que l’argument de l’ouvrage. Rabelais, en effet, non seulement remodèle le système de ses personnages, mais aussi donne toute la place à un argument qu’il a certainement en vue depuis longtemps, puisque les suites annoncées à la fin du Pantagruel initial (1532) sont remaniées dès 1533 et comportent désormais la promesse de faire voir « comment Panurge fut marié, et cocqu dés le premier moys de ses nopces ». Ce n’est pas certes exactement ce que fera voir le Tiers Livre, mais l’idée du mariage et du cocuage de Panurge est déjà en