Racine
Grazia travaille au bureau de poste de Barletta. Francesco est pianiste concertiste. Grazia la gracieuse est assise bien droite et ne s'exprime que quand on le lui demande, avec un sourire très doux. Francesco a le teint pâle du savant insomniaque et parle sans cesse en promenant son regard myope d'un air égaré. Il peine à expliquer l'immensité de ce qu'il a entrepris. Il répète "ma recherche",mécaniquement, nerveusement. Il se frotte les yeux derrière ses grosses lunettes, s'interrompt soudain pour fouiller dans ses papiers, ne trouve pas ce qu'il semblaitchercher, tente sa chance sur l'ordinateur, se met au piano pour faire une démonstration musicale. Il voudrait tant qu'on le comprenne.
Il a trouvé de tout : du classique, du dodécaphonique, des chansons parodiques, du blues, du swing, de l'opéra, de la musique religieuse ou traditionnelle. Des chants sentimentaux américains nés dans les prisons japonaises, des compositions de moines franciscains à Dachau, des choeurs féminins à Ravensbrück, des musiques de cabaret joyeux à Terezin.
"La différence avec la musique écrite en liberté est à peine perceptible, explique-t-il. Qu'un musicien écrive chez lui ou en prison, il s'isole. Mais, dans les camps, il y a une angoisse, une urgence, la nécessité d'économiser l'espace, d'être succinct..." Des partitions ont été interrompues brutalement.