Receuil de poemes sur le voyage
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,Et puis est retourné, plein d’usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit villageFumer la cheminée, et en quelle saisonReverrai-je le clos de ma pauvre maison,Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,Que des palais Romains le front audacieux,Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :
Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,Et plus que l’air marin la doulceur angevine.
Joachim Du Bellay,Les Regrets
L’albatros
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipagePrennent des albatros, vastes oiseaux des mers,Qui suivent, indolents compagnons de voyage,Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,Laissent piteusement leurs grandes ailes blanchesComme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !L’un agace son bec avec un brûle-gueule,L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuéesQui hante la tempête et se rit de l’archer ;Exilé sur le sol au milieu des huées,Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Charles Baudelaire, Les Fleurs Du Mal
Parfum exotique
Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,Je vois se dérouler des rivages heureuxQu’éblouissent les feux d’un soleil monotone ;
Une île paresseuse où la nature donneDes arbres singuliers et des fruits savoureux ;Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne.
Guidé par ton odeur vers de charmants climats,Je vois un port rempli de voiles et de mâtsEncor tout fatigués par la vague