Rimbaud
André Durand présente
‘’Délires
II
Alchimie du verbe’’
(1885)
Poème de RIMBAUD
« À moi. L'histoire d'une de mes folies.
Depuis longtemps, je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie modernes.
J'aimais les peintures idiotes, dessus de porte, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres, érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.
Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacement de races et de continents ; je croyais à tous les enchantements.
J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, 0 bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges.
Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises, Que buvais-je, à genoux dans cette bruyère Entourée de tendres bois de noisetiers, Dans un brouillard d'après-midi tiède et vert?
Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise, - Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert ! - Boire à ces gourdes jaunes, loin de ma case Chérie? Quelque liqueur d'or qui fait suer.
Je faisais une louche enseigne d'auberge. - Un orage vint chasser le ciel. Au soir L'eau des bois se perdait sur les sables vierges, Le vent de Dieu jetait des glaçons aux mares ;
Pleurant, je voyais de l'or, - et ne pus boire.
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À quatre heures du matin, l'été, Le sommeil d'amour dure encore.