Roman
Les germes de la peur
Les angoisses alimentaires tiennent à la méconnaissance des modes de production.
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Par JACKY DURAND, CATHERINE MALLAVAL
Nature morte de Luis Meléndez (XVIIIe siècle) (Musée du Prado, à Madrid) Après la peur de manquer, la peur au ventre ? Après des siècles de famines, la trouille d’ingérer des aliments mortels. Il y a de cela. Si les angoisses alimentaires (rationnelles ou pas) ne datent pas d’hier, elles ont dans notre société de consommation changé de nature. Et sont passées, à en croire l’historienne Madeleine Ferrières (1), «d’un critère quantitatif à un critère qualitatif». Avec une crainte désormais lancinante de s’empiffrer du «corrompu, du malsain, de l’immonde». Une angoisse à la hauteur des barrières que l’on ne cesse d’ériger pour se protéger : contrôles sanitaires, réglementations exigeantes, hyperhygiénisme, traçabilité…
Comble. Le voilà le terreau sur lequel pousse l’affaire du concombre tueur. Mais loin des alertes coutumières aux fromages à la listeria, au steak haché suspect ou aux œufs contaminés, et des mémorables crises de la vache folle, de la tremblante du mouton ou de la grippe aviaire, la cucurbitacée tranche : c’est un végétal. Et c’est une première. Un comble quand l’air du temps crie haro sur la bidoche qui bouche les artères, l’élevage du bœuf et son déplorable bilan carbone, et porte le vert aux nues. Si même les cinq fruits et légumes par jour se mettent à avoir de la bactérie dans l’aile…
Certes, le concombre (ou du moins E.coli) aurait déjà des morts sur la conscience. Mais comme à chaque crise sanitaire, avérée ou non, une méga-amplification est déjà à l’œuvre, à base de mondialisation et de médiatisation. Sans doute parce que la grosse pétoche de la crudité contaminée en dit long sur notre rapport à la nourriture dans notre société moderne.
Au fond, notre angoisse est proportionnelle à la distance qui existe aujourd’hui entre