Il est évident, pour commencer, que toute l'idée du bien et du mal est en relation avec le désir. Au premier abord, ce que nous désirons tous est « bon », et ce que nous redoutons tous est « mauvais ». Si nos désirs à tous concordaient, on pourrait en rester là ; mais malheureusement nos désirs s'opposent mutuellement. Si je dis : « Ce que je veux est bon », mon voisin dira : « Non, ce que je veux, moi ». La morale est une tentative (infructueuse, à mon avis) pour échapper à cette subjectivité. Dans ma dispute avec mon voisin, j'essaierai naturellement de montrer que mes désirs ont quelque qualité qui les rend plus dignes de respect que les siens. Si je veux préserver un droit de passage, je ferai appel aux habitants des environs qui ne possèdent pas de terres ; mais lui, de son côté, fera appel aux propriétaires. Je dirai : « À quoi sert la beauté de la campagne si personne ne la voit ? » Il répliquera : « Que restera-t-il de cette beauté si l'on permet aux promeneurs de semer la dévastation ? » Chacun tente d'enrôler des alliés, en montrant que ses propres désirs sont en harmonie avec les leurs. Quand c'est visiblement impossible, comme dans le cas d'un cambrioleur, l'individu est condamné par l'opinion publique, et son statut moral est celui du pécheur.
La morale est donc étroitement liée à la politique : elle est une tentative pour imposer à des individus les désirs collectifs d'un groupe ; ou, inversement, elle est une tentative faite par un individu pour que ses désirs deviennent ceux de son groupe.
B. Russell, Science et Religion.
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.