Réecriture de la chartreuse de parme
J' avouerai que j'étais fort peu héros en ce moment. Toutefois la peur ne venait chez moi qu' en seconde ligne ; j' étais surtout scandalisé de ce bruit qui me faisait mal aux oreilles. L' escorte prit le galop ; nous traversions une grande pièce de terre labourée, située au-delà du canal, et ce champ était jonché de cadavres. -Les habits rouges ! Les habits rouges ! Criaient avec joie les husssards de l' escorte, et d' abord je ne comprenais pas ; enfin je remarquai qu' en effet tous les cadavres étaient vêtus de rouge. Une circonstance me donna un frisson d’horreur ; je remarquai que beaucoup de ces malheureux habits rouges vivaient encore ; ils criaient évidemment pour demander du secours, et personne ne s’arrêtait pour leur en donner. Me sentant fort humain, je me donnais toutes les peines du monde pour que mon cheval ne mît les pieds sur aucun habit rouge. L’escorte s’arrêta ; moi, ne faisant pas assez attention à mon devoir de soldat, je galopais toujours en regardant un malheureux blessé.— Veux-tu bien t’arrêter, blanc-bec ! me cria le maréchal des logis.Je m’aperçus que j' étais à vingt pas sur la droite en avant des généraux, et précisément du côté où ils regardaient avec leurs lorgnettes. En revenant me ranger à la queue des autres hussards restés à quelques pas en arrière, je vis le plus gros de ces généraux qui parlait à son voisin, général aussi ; d’un air d’autorité et presque de réprimande, il jurait. Je ne put retenir ma curiosité ; et, malgré le conseil de ne point parler, donné par mon amie la geôlière, j'arrangeai une petite phrase bien française, bien correcte, et dis à mon voisin :— Quel est-il ce général qui gourmande son voisin ?— Pardi, c’est le maréchal !— Quel maréchal ?— Le maréchal Ney, bêta ! Ah çà ! où as-tu servi jusqu’ici ? Quoique étant fort susceptible, ne songeai point à me fâcher de l’injure ; je