Said
- Oui, répondit-elle, si je trouvais le colonel Chabert dans le plaideur3 ».
L’air de vérité qu’elle sut mettre dans cette réponse dissipa les légers soupçonsque le colonel eut honte d’avoir conçus. Pendant trois jours la comtesse fut admirable près de son premier mari. Par de tendres soins et par sa constante douceurelle semblait vouloir effacer le souvenir des souffrances qu’il avait endurées, sefaire pardonner les malheurs que, suivant ses aveux, elle avait innocemment causés ; elle se plaisait à déployer pour lui, tout en lui faisant apercevoir une sortede mélancolie, les charmes auxquels elle le savait faible ; car noussommes plusparticulièrement accessibles à certaines façons, à des grâces de cœur ou d’espritauxquelles nous ne résistons pas ;elle voulait l’intéresser à sa situation, et l’attendrir assez pour s’emparer de son esprit et disposer souverainement de lui. Décidée à tout pour arriver à ses fins, elle ne savait pas encore ce qu’elle devait faire decet homme, mais certes elle voulait l’anéantir socialement.Le soir du troisièmejour elle sentit que, malgré ses efforts, elle ne pouvait cacher les inquiétudes quelui causait le résultat de ses manœuvres. Pour se trouver un moment à l’aise,ellemonta chez elle, s’assit à son secrétaire4, déposa le masque de tranquillité qu’elleconservait devant le comte Chabert, comme une actrice qui, rentrant fatiguéedans sa loge après un cinquième acte pénible, tombe demi-morte