En tant qu’astrophysicien étudiant la formation et l’évolution des galaxies, mon travail m’amène constamment à m’interroger sur les notions de réel, de matière, de temps et d’espace. En tant que vietnamien élevé dans la tradition bouddhiste, je ne peux m’empêcher de me demander comment le bouddhisme envisage ces mêmes concepts. Mais je n’étais pas certain qu’une démarche consistant à confronter la science et le bouddhisme puisse avoir un sens. Je connaissais surtout l’aspect pratique du bouddhisme qui aide à acquérir la connaissance de soi, à progresser spirituellement, et à devenir un être humain meilleur. Pour moi, le bouddhisme était avant tout une voie menant à l’Eveil, une voie contemplative au regard principalement tourné vers l’intérieur. De plus, la science et le bouddhisme utilisent des méthodes d’investigation du réel totalement différentes. En science, ce sont l’intellect et la raison qui tiennent le rôle principal. Divisant, catégorisant, analysant, comparant et mesurant, le scientifique exprime les lois de la nature dans le langage hautement élaboré des mathématiques. L’intuition n’est pas absente en science, mais elle n’est utile que si elle peut être formulée dans une structure mathématique cohérente. Par contre, l’intuition - l’expérience intérieure - joue le premier rôle dans la démarche contemplative. Elle n’essaie pas de fragmenter la réalité, mais tente de l’appréhender dans sa totalité. Le bouddhisme ne fait pas appel aux instruments de mesure et aux observations sophistiquées qui fournissent la base expérimentale de la science. Ses énoncés sont de nature plus qualitative que quantitative. Je redoutais que le bouddhisme n’ait que peu à dire sur la nature du monde phénoménal, car ce n’est pas sa préoccupation principale, alors que c’est fondamentalement celle de la science.
J’ai rencontré Matthieu Ricard pour la première fois lors de l’Université d’été à Andorre, en 1997. Matthieu était la personne idéale avec qui aborder ces questions. Non