Simone de beavoir
Source : De Beauvoir, Simone, Le deuxième sexe vol.2 : L’expérience vécue, Paris : Gallimard, 1949
XIV. La femme indépendante
Le code français ne range plus l'obéissance au nombre des devoirs de l’épouse et chaque citoyenne est devenue une électrice; ces libertés civiques demeurent abstraites quand elles ne s'accompagnent pas d'une autonomie économique; la femme entretenue - épouse ou courtisane – n’est pas affranchie du mâle parce qu'elle a dans les mains un bulletin de vote; si les mœurs 1ui imposent moins de contraintes qu'autrefois, ces licences négatives n’ont pas modifié profondément sa situation; elle reste enfermée dans sa condition de vassale. C'est par le travail que la femme a en grande partie franchi la distance qui la séparait du mâle; c'est le travail qui peut seul lui garantir une liberté concrète. Dès qu'elle cesse d'être une parasite, le système fondé sur sa dépendance s'écroule; entre elle et l'univers il n'est plus besoin d'un médiateur masculin. La malédiction qui pèse sur la femme vassale, c'est qu'il ne lui est permis de rien faire : alors, elle s’entête dans l'impossible poursuite de l'être à travers le narcissisme, l'amour, la religion; productrice, active, elle reconquiert sa transcendance; dans ses projets elle s’affirme concrètement comme sujet; par rapport avec le but qu'elle poursuit, avec l'argent et les droits qu’elle s’approprie, elle éprouve sa responsabilité. Beaucoup de femmes ont conscience de ces avantages, même parmi celles qui exercent les métiers les plus modestes. J'ai entendu une femme de journée, en train de laver le carreau d'un hall d'hôtel qui déclarait : « Je n'ai jamais rien demandé à personne. Je suis arrivée toute seul. » Elle était aussi fière de se suffire qu'un Rockfeller. Cependant il ne faudrait pas croire que la simple juxtaposition du droit de vote et d'un métier soit une parfaite libération : le travail aujourd'hui n'est