Sophocle
(Chrysotémis sort du palais).
CHRYSOTEMIS : Qu’est-ce encore que ce propos que tu t’en viens tenir, ma sœur, à la sortie de notre vestibule ? Le temps a beau passer, tu n’écoutes pas ses leçons, tu ne refuses pas à ta fureur stérile une vaine satisfaction. Moi, je ne sais qu’une chose, c’est que je souffre certes de l’état où nous sommes – au point que, si un jour j’en trouvais la force, je montrerai à ces gens-là les sentiments que j’ai pour eux – mais c’est aussi qu’en plein désastre je crois bon de plier les voiles et de ne pas me donner l’air d’agir alors qu’en réalité mes coups n’atteignent personne. Et je voudrais que tu fisses de même. Il n’en reste pas moins que la justice est dans ce que tu penses bien plus que dans ce que je dis. Mais si je tiens à vivre libre, je dois en tout obéir à mes maîtres.
ELECTRE : Il est singulier qu’une fille sortie d’un père comme le tien puisse oublier celui-ci pour ne plus que songer à sa mère. Tous ces sermons que tu m’adresses, c’est elle qui te les a appris : rien dans tout cela qui vienne de toi. Sache donc choisir, ou de déraisonner, ou, si tu gardes la raison, d’oublier jamais les tiens. Mais le fais-tu, toi qui viens me dire que, si tu en trouvais la force, tu montrerais la haine que tu as contre eux, et qui, lorsque je cherche à venger mon père à tout prix, tu refuses à m’aider et t’appliques même à m’empêcher d’agir ? N’est-ce donc pas là ajouter à nos malheurs l’opprobre d’une lâcheté ? Car enfin apprends-moi – sans quoi, c’est à moi qui devrai te l’apprendre – le profit que j’aurais à arrêter mes plaintes. Ne suis-je pas encore en vie ? Vie misérable je le sais, mais qui me suffit, à moi. D’autre part, je fais leur tourment, et c’est là un hommage qu’ainsi je rends au mort, si du moins il est quelque chose qui lui agrée encore là-bas. Tandis que toi, toi qui les hais, tu les hais en paroles, mais au vrai tu vis avec eux, les assassins de ton pères ! Moi, au contraire,