Spleen
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire
Edvard MUNCH, Le cri, 1893.
Projet
On verra de ce texte un commentaire composé en étudiant d'abord la monté inexorable de la crise puis la défaite de l'esprit en proie au spleen.
Etude
I) La montée de la crise.
A)
Les quatre premiers quatrains développent une seul phrase qui progresse avec trois subordonnées (3 quand) et aboutit à un paroxysme dans la proposition principale.
L'anaphore quand (répété 3 fois) rythme cette progression.
Par ailleurs les coordinations "et qui" (v. 3-11) les enjambements continuels, tout cela donne l'impression d'un mouvement lent et enchaîné inexorablement.
B)
Les impressions que ressent la victime du spleen sont pesantes, douloureuses, de plus en plus malsaines et de plus en plus inquiétantes.
Le climat est pesant (v. 1) un accent irrégulier tombe sur "pèse"
Le climat est douloureux (v.1-16) => les sonorités dominantes sont douloureuses, nasales en "en", sifflantes en "s", l'assonance en "i" est très souvent