Stoïcisme
Il y a ceux que tourmente une passion de la guerre, infligeant des dangers aux autres ou s’inquiétant de leur survie; ceux qui se consument dans la servitude volontaire d’autres esprits plus grands qu’eux. Beaucoup sont captifs d’une aspiration à posséder la beauté d’autrui ou du soin de la leur.
La plupart ne recherchent rien de précis, et une légèreté vagabonde, inconstante, vite lassée, les jette sans cesse vers de nouveaux desseins; ils ne savent où diriger leur course et le destin les surprend inactifs et bâillants.
C’est au point que je n’hésite pas à prendre à mon compte cette phrase prononcée comme un oracle par le plus grand des poètes: «La partie de la vie que nous vivons est courte.» Tout le reste n’est pas de la vie, c’est du temps.
Qu’y a-t-il de plus insensé que l’indignation de certaines gens? Ils se plaignent de leurs supérieurs qui n’ont pas le temps de leur accorder une audience; on ose se plaindre de l’orgueil de l’autre quand on n’a jamais de temps pour soi-même!
Pourtant, cet autre, qui que tu sois, t’a peut-être regardé parfois d’un air insolent, mais il t’a regardé, il a prêté l’oreille à tes paroles, il t’a admis à ses côtés: toi, tu n’as jamais daigné te regarder ni t’écouter toi-même. Tu n’as donc pas à te faire gloire des devoirs rendus à quiconque; si tu les as rendus, ce n’était pas parce que tu voulais être avec un autre, c’était parce que tu ne pouvais être avec toi.
Les plus grands génies ont beau tomber d’accord sur l’aveuglement de la nature humaine, ils ne s’en étonneront jamais